Celui qui, au cours de l’Année Internationale de l'Astronomie 2009, se souviendra de Galileo Galilei et, en liaison avec le 400e anniversaire de la "Astronomia Nova", de Johannes Kepler et de Tycho Brahe aura sans doute le plaisir de célébrer également Jost Bürgi. Cet ami de Kepler et connaissance de Brahe ne fut pas sans influence sur le développement de cette œuvre importante. Au début de la dernière décennie l'auteur de l’article suivant, Fritz Staudacher, a contribué à réaliser un documentaire télévisé sur Jost Bürgi. Aujourd’hui l’auteur met en lumière quelques facettes de ce génie de la renaissance originaire du Toggenbourg. Selon lui, les contributions immenses de ce mathématicien et astronome suisse sont restées trop longtemps cachées dans l'ombre de l'histoire et risquaient bien d’être à jamais oubliées.

Bernhard Braunecker, Secrétaire de la SSP

 

Jost Bürgi n’a pas seulement inventé la seconde

Nous le connaissons comme l'inventeur des logarithmes, comme le constructeur des globes célestes, comme l'un des pionniers de l'algèbre et du calcul des fractions décimales, ainsi que comme le créateur des compas de réduction et des appareils de mesure des distances par la triangulation: l’horloger, le mathématicien et l’astronome Jost Bürgi (1552-1632) de Lichtensteig. Le fait qu’il ait mesuré pour la première fois l'unité de temps de la seconde, est l'une des innovations les plus ignorées et les plus sous-estimées de cet homme silencieux du Toggenbourg. La seconde est aujourd'hui l’unité de la physique définie avec la plus haute précision et représente certainement l’unité la plus importante dans notre monde technique d'aujourd'hui.

Avec la seconde est défini aujourd'hui l'ensemble du réseau temporel de l'univers. Et sur la base de la vitesse de la lumière et des fractions de seconde nous formons l’unité du mètre pour mesurer la géométrie de l'espace et l'ensemble des éléments du macrocosme et du microcosme ((G)). Pour la première fois, le tic-tac de la "pars minuta secunda" a battu en 1585 dans une horloge du Suisse Jost Bürgi à la cour du landgrave Guillaume IV à Kassel en Allemagne – et cette unité de la seconde s’est établie depuis avec des oscillateurs de plus en plus précis pour former le standard mondial de temps.

 

"Durée de la plus petite note dans une chanson modérément lente"

Dans sa lettre du 14 Avril 1586, Guillaume IV de Hesse a fièrement informé l'astronome Tycho Brahe de sa nouvelle « horloge à minutes et secondes qui, dans un délai de 24 heures, ne varie au maximum que d’une minute ». Cela a signifié pour la mesure du temps une augmentation énorme en précision, les meilleures horloges de l'époque ayant en moyenne une déviation d’un quart d'heure!

La longueur de l’intervalle de temps d'une seconde était encore inconnue en 1586 en dehors de l'observatoire de Kassel. L’Astronome de la cour de Kassel, Christoph Rothmann, décrit la durée de cette nouvelle unité de temps comme suit: « La durée d'une seconde n'est pas très courte, mais ressemble à la durée de la plus petite note dans une chanson modérément lente. Le balancier ne ressemble pas aux modèles courants, mais a été inventé de telle sorte que chacun de ses battements représente une seule seconde. » ((LW22)).

Guillaume IV décrivit à l’astronome danois Brahe le créateur de la merveilleuse nouvelle horloge, Jost Bürgi, comme un homme "ayant la capacité d’innovation d’un deuxième Archimède".

 

Avec un remontoir à trois mois et un échappement croix-choc

Grâce à l’invention de l’échappement croix-choc et du remontoir automatisé à trois mois, ainsi qu’avec la conception et la fabrication parfaite de rouages à dents très fines, Jost Bürgi réussit à fabriquer des horloges d’orientation astronomique de haute précision indiquant pour la première fois l’unité de la seconde ((O2/59)). Il fut aussi le premier à utiliser une horloge de précision à des fins scientifiques. Avec son sextant équipé d’une règle de visée qu’il avait lui-même construit, et son horloge à la seconde, il put déterminer l'heure locale et la longitude géographique plus précisément que jamais par la position du soleil à midi. De même il réussit à déterminer le temps de passage et la position des étoiles fixes, planètes et autres corps célestes par la méthode de mesure du temps spatial – et cela près de soixante-dix ans avant la pendule de Christian Huygens ((Ha161)), avec laquelle on associe communément le début de « l’ère de la seconde ».

En 1579, Jost Bürgi avait été nommé Horloger à la cour de Guillaume IV, responsable des instruments astronomiques et assistant personnel du landgrave dans ses observations du ciel. L’ Observatoire de Kassel fut l’un des premiers d’Europe, placé dans un édifice spécialement construit à cet effet. Entre 1584 et1590 Bürgi travailla également avec le Mathématicien Christoph Rothmann. Après le départ de celui-ci il reprit aussi les fonctions de Mathématicien et Astronome de la cour, de 1590 à 1604.

Willebrord Snellius (1580-1626) – professeur de mathématiques hollandais connu pour ses formules de réfraction, et qui publia les observations astronomiques de Kassel – mentionna Jost Bürgi comme « une personnalité extraordinaire, à la fois horloger brillant, astronome compétent et excellent mathématicien – une combinaison unique dans l'histoire de l'horlogerie ».

Selon un livre publié en turc seulement en 2002, il semblerait que le savant universel Rasid Takiyyüddin (1525-1585) ait déjà construit au 16ème siècle une horloge à secondes dans l'Empire ottoman ((T)). Comme à cette époque l'Occident était souvent en guerre avec les Ottomans expansionnistes, l’empereur Rodolphe II d’Habsbourg déplaça son siège de Vienne à Prague, ville qui lui paraissait plus sûre. Si l‘horloge à la seconde de Takiyyüddin a bien existé à Istanbul au 16ème siècle, les disciples européens de Copernic n’avaient eu aucune chance de la voir ou de l’utiliser pour leurs recherches en astronomie.

 

Un homme d’action et non de mots

Jost Bürgi a brillé par la construction de ses modèles et globes tridimensionnels, par ses instruments et horloges, ainsi que par ses nouvelles méthodes de calcul - mais moins par sa rhétorique. N’ayant pas étudié le latin, ni l’habitude d’écrire, il ne publia de lui-même que très peu. C’est pour cette raison que ses contemporains et les générations suivantes ne connurent que peu ses idées ou furent en désaccord avec lui, mais ceci le plus souvent sans mauvaise intention. Bürgi retarda la description de ses inventions jusqu’au moment où ses amis commencèrent à les décrire dans leur propres publications - notamment Johannes Kepler, Nicolas Raimarus Ursus et son beau-frère Benjamin Bramert. Il est possible que Jost Bürgi ait volontairement omis dans certains cas la documentation écrite de ses méthodes et de ses équipements afin de garder une certaine avance et de se prémunir ainsi contre l'imitation illicite. Déjà l’impression retardée de ses tables logarithmiques semble – en outre à cause de la guerre à Prague et pour des raisons financières – n’avoir jamais atteint un niveau de tirage normal ((L157)).

 

Le globe céleste de Jost Bürgi – une véritable merveille

Le nom de Jost Bürgi s’est très vite répandu jusqu’à la cour de l’empereur à Prague grâce à son horloge d’orientation astronomique à la seconde et ses globes célestes incomparables. Ce sont des automates de haute précision avec des mécanismes en fer ou en acier très complexes cachés à l'intérieur. Il portent aussi sur des sphères en laiton doré, en argent ou en cuivre la gravure d’étoiles et des illustrations allégoriques célestes de grande qualité artistique. Un globe céleste de l'atelier de Jost Bürgi offre au spectateur l’ensemble des astres connus à son époque avec leurs positions que Bürgi avait déterminées avec Guillaume IV et Rothmann à l'observatoire astronomique de Kassel. Comme Bürgi afficha aussi sur ses globes célestes l’élévation réelle du soleil à l'aide d'un mécanisme génial caché à l’intérieur, la position des astres sur le globe est toujours identique au ciel naturel. Ainsi, sur son globe sont identifiables à tout moment les étoiles visibles au ciel et celles qui restent invisibles. De plus, même si le soleil brille au-dessus de l'horizon et éclipse les étoiles par sa propre lumière, il est toujours possible de suivre leur "mouvement". Ainsi la position réelle d'une étoile de nuit ou de jour est toujours facile à trouver sur le globe céleste ((O1/45)). La grande inventivité et l’exceptionnelle manufacture de ces automates astronomiques sont impressionnantes pour l’époque. Plus de quatre siècles plus tard Ludwig Oechslin, physicien et horloger de génie décrit dans sa biographie de Bürgi la qualité de son œuvre. Il souligne en particulier la conception et la fabrication incomparable de la transmission épi cyclique et de la roue dentée irrégulière, qui permettent de compenser l'inclinaison de l'axe de la terre et sa trajectoire elliptique avec une grande précision ((O1/55)).

L’empereur Rodolphe II de Habsbourg émerveillé par l’artisan de Kassel, demanda à Bürgi de lui apporter personnellement à Prague un de ses globes célestes. Ce fut pour celui-ci l’occasion d’une audience privée chez l’empereur sur le Hradcany en 1592.

 

Trois génies de l’astronomie à la cour de l’empereur à Prague

Les astronomes Tycho Brahe et Johannes Kepler, qui travaillaient à la fin du 16ème siècle à la cour de l’empereur Rodolphe II à Prague, connaissaient bien sûr les merveilles d'horlogerie de Jost Bürgi ainsi que ses instruments de mesure. Ils connurent aussi ses activités en astronomie et ses méthodes de calcul avancées et uniques à l'époque. Dès 1592 Tycho Brahe demanda où Bürgi en était de ses tables trigonométriques et de sinus ((O2/101)). Deux ans à peine après le début de son activité sur le Hradcany, le mathématicien et astronome impérial mourut subitement en 1601. Il avait attiré à Prague une année auparavant le mathématicien Kepler pour figurer au nombre de ses assistants. Après la mort de Brahe, Johannes Kepler fut promu mathématicien impérial. Pour les observations du ciel il avait le handicap d’être si myope qu’on rapporte qu’il aurait vu des objets éloignés en double ou triple et même "jusqu'à dix lunes simultanément" ((P255)).

A la recherche de l’harmonie des „sphères célestes“ et du décryptage des mouvements mystérieux des planètes autour du soleil, Kepler, Brahe et Bürgi ont travaillé main dans la main sur le Hradcany de Prague. Brahe qui se méfiait de Kepler, lui aurait remis ses données sur la position des astres fixes et des planètes avec beaucoup de réticences. Toutefois la compétence et l‘expérience de ces trois personnalités, appelées par l'empereur Rodolphe II à sa cour, se complétèrent de manière idéale.

Dans les enregistrements de Tycho Brahe étaient également intégrées les positions des objets célestes que Jost Bürgi avait collectées à Kassel pendant d'innombrables observations nocturnes ‘au moyen de son horloge à la seconde, de son sextant et grâce à ses calculs basés sur ses tables logarithmiques. En raison de l'amitié entre Tycho Brahe et le landgrave Guillaume IV, les deux principaux observatoires européens de l'époque, à Kassel et à Uranienburg, échangèrent informations et expériences par correspondance et lors de visites personnelles pendant des décennies.

 

Kepler a reconnu le génie de Bürgi et profité de ses méthodes

A partir de 1604 Jost Bürgi a travaillé et habité sur le Hradcany à Prague en tant qu’Horloger impérial de la cour. En outre, en tant qu’assistant du très myope Johannes Kepler, il continua d‘observer le soleil, la lune, les planètes et les étoiles fixes, ce qu’il avait pratiqué avec succès déjà pendant des décennies à Kassel. Autodidacte, n’ayant pas fait d’études secondaires ni étudié le latin, il impressionna Kepler avec ses méthodes de calcul des fractions décimales et ses tables logarithmiques qu’il développa de manière totalement autonome. D’ailleurs Kepler reprit ces méthodes pour ses propres travaux ((Ha174)). Dans son «Extrait de l'art ancien de mesurer d’Archimède» Kepler témoigne lui-même qu'il a appris la procédure de multiplication abrégée de Bürgi ((LW40)). Il n'y a guère de doutes que sans les innovations mathématiques de Bürgi les calculs de Kepler n’auraient pas évolués si rapidement, en particulier la démonstration de la trajectoire elliptique de Mars et des autres planètes autour du soleil.

Lorsque fin 1609 Galileo Galilei (1564-1642) orienta pour la première fois son télescope vers le ciel et découvrit les aspérités de la surface lunaire et les quatre plus grandes lunes de Jupiter, Johannes Kepler avait déjà formulé depuis plusieurs années ses deux premières lois astronomiques. A partir des données d’observation collectées par Tycho Brahe, Johannes Kepler fut donc en mesure de définir la trajectoire elliptique de Mars autour du soleil. Cependant Tycho Brahe décéda en 1601 en gardant la conviction que la terre ne tournait pas autour du soleil comme les autres planètes. Galileo Galilei aussi rejeta toute sa vie l’idée de trajectoire elliptique des planètes autour du soleil, prédite par Kepler.

 

Jost Bürgi inventa les logarithmes avant John Napier

Alors qu’il avait développé ses « Tables progressives arithmétiques et géométriques » bien des années avant John Napier (1614), ainsi que deux décennies avant la publication des tables logarithmiques de Briggs et les "Chilias logarithmorum" de Kepler (1624), le timide Bürgi ne les publia qu’en 1620. C’est pourquoi le Lord écossais Napier fut longtemps reconnu comme l’inventeur des logarithmes. En raison du déclenchement de la guerre de Trente Ans en 1618 à Prague et par manque d'argent, Bürgi ne put terminer l’impression de ses "Progresstabuln" et la rédaction des instructions correspondantes. Grâce au témoignage de Nicolas Raimarus Ursus en 1588 ((LW101)) et au rapport de 1627 de Kepler dans sa préface aux "Tableaux Rudolphines" (1627), confirmant que Bürgi avait développé les logarithmes avant Napier, les questions de priorité pour cette innovation furent clarifiées – du moins pour les initiés des pays germanophones.

Même en ce qui concerne la qualité mathématique, la solution de Bürgi est la plus moderne selon Heinz Lutstorf de l'EPF de Zurich: « A la différence des listes de Napier les ‘Progresstabuln’ de Bürgi sont de véritables tables logarithmiques dans un contexte moderne" ((LW13)). Par sa méthode de calcul des valeurs trigonométriques toutes les 2 secondes d’arc dans ses tables sinus, Bürgi est également l’un des fondateurs des méthodes algébriques en géométrie, et selon Lutstorf son influence serait comparable à celle de Descartes ((LW41)).

Pendant plus de trois siècles – jusqu’à l’avènement de l'ordinateur – les tables logarithmes et les règles à calcul logarithmiques sont restées les principaux outils du calcul scientifique et technique. Sans ces outils – aujourd'hui largement oubliés – la création de nombreuses œuvres et constructions de l'ère industrielle moderne jusqu’à la conquête de l'espace n’aurait pu se réaliser ni se développer si rapidement.

 

La révolution des planètes, de la foi, de la science et des arts

Les quatre scientifiques Brahe, Galilée, Kepler et Bürgi, ancrés dans leur foi chrétienne, eurent à souffrir du fait qu’ils considéraient les principes élémentaires de la Nature comme plus vrais que les règles et prescriptions absolutistes et souvent illogiques de l’église et des législateurs princiers. La personnalité et la vie de chacun de ces pionniers ont été prises pour référence non seulement par d'autres scientifiques, mais souvent aussi par des écrivains et de multiples artistes.

 

L’assassinat de Tycho Brahe

Comme on l’a découvert ces dernières années, le Danois Tycho Brahe aurait été empoisonné au mercure en 1601 à Prague, peut-être même par un membre de sa famille ((S)). L'histoire de ce meurtre perfide n’était pas encore connu à William Shakespeare quand il a commencé d’écrire son drame sur le prince danois Hamlet la même année. L’assassinat, attribué il y a quelques années encore fautement à Kepler, pourrait en fait aussi avoir eu pour initiateur le roi danois Christian IV, selon les hypothèses les plus récentes – sauf si Brahe s’empoisonna accidentellement lui-même. Quand Max Brod écrivit en 1915 son roman "Le chemin Tycho Brahe vers Dieu", il ignorait tout de cette destinée tragique.

 

Galilei devant le tribunal de l'Inquisition, et Kepler à l'index

Aussi Galileo Galilei fut en danger de mort: devant le tribunal de l'Inquisition il fut forcé de révoquer sa préférence pour un monde héliocentrique exprimée dans son ouvrage "Dialogo" (1632), opinion considérée comme une erreur et une hérésie. La condamnation au cachot de la prison fut transformée en maison d'arrêt et combinée avec une interdiction totale de publication. Cet épisode sera mis en scène par Bertolt Brecht en 1939 dans une pièce de théâtre. Après la mort de Rodolphe II et son départ de Prague en 1612, Johannes Kepler dut aussi défendre sa mère accusée de sorcellerie. En 1619 il vit son œuvre "Epitome Astronomia» mise à l’Index et dut fuir la Contre-réforme à Linz et à Graz. En dépit de ses grandes performances scientifiques, aucun poste de professeur ne lui fut offert dans son pays d'origine, le Wurtemberg, protestant. En effet, baptisé comme luthérien, il avait à la fois accepté quelques formes du rituel calviniste que la réforme catholique du calendrier grégorien. Durant les trois dernières années de sa vie, Kepler accepta le poste de conseiller astrologique à Sagan en Silésie, offert par le généralissime impérial Albrecht von Wallenstein. Poste qu’il perdit après le départ de Wallenstein et juste avant sa mort en 1630 à Ratisbonne. Dans son opéra «L'harmonie du monde» écrit en 1957, le compositeur Paul Hindemith mit en scène et en musique la vie de Kepler et sa vision du monde.

 

Jost Bürgi avait du talent et de l'assiduité, mais également de la chance

De ces quatre protagonistes Jost Bürgi, né le 28 Février 1552, eut probablement le meilleur sort. Son grand-père Lienhard Bürgi, administrateur du village de Lichtensteig, s’était opposé courageusement au prince-évêque de St-Gall. Son compatriote de la région de Toggenbourg, Ulrich Zwingli, perdit lui la vie dans une bataille près de Zurich lors de son engagement pour la Réforme. Il est bien probable que cette constellation et les mauvaises possibilités de formation artisanale dans le petit village de 400 habitants, confessionnellement scindé en deux, amena le jeune Jost Bürgi à quitter son lieu d'origine. Ayant émigré, il fut en mesure d’approfondir ses connaissances en lecture et en calcul acquises à l'école élémentaire. Il développa aussi son habileté à travailler les métaux, grâce à l’apprentissage du métier de forgeron de compas et d'horloger qu’il fit probablement à la forge familiale.

Son cheminement professionnel l’amène peut-être à Strasbourg, où ses compatriotes Josias et Isaac Habrecht de Diessenhofen construisirent entre 1570-1574 la deuxième version de l'horloge astronomique, conçue par le mathématicien Konrad Dasypodius. Ce Schaffhousois d’origine pourrait avoir introduit Bürgi, dans sa langue maternelle, aux connaissances des mathématiques de l'époque. Il est possible en outre que Bürgi fit aussi halte dans les villes de Nuremberg, d’Augsbourg, ou de Crémone, alors hauts lieux de l'horlogerie. La qualité de ses facultés artisanales est bien documentée - mais pas les lieux où il les a acquis ((O2 / 2)).

C’est aussi à Strasbourg que le futur landgrave Guillaume IV étudia les mathématiques et l'astronomie. On se rappelle que c’est lui qui demanda à Bürgi en 1579 de devenir Horloger de la cour à Kassel, pour y développer des instruments scientifiques, l’assister dans l'observation des astres et confirmer le modèle héliocentrique décrit par Copernic. En plus de ses sextants, globes célestes et autres horloges d’orientation à la seconde, Bürgi eut le courage ’hérétique‘ de construire en 1591 une horloge astronomique qui décrivit le modèle héliocentrique. A l'époque, ceci n'était pas sans danger. En effet, le scientifique Giordano Bruno, défendant l’idée de Copernic, fut condamné à mort en 1600 à Rome par le tribunal de l'Inquisition et brûlé sur le bûcher.

Dès 1604 Jost Bürgi travailla en tant qu’Horloger impérial à Prague et avec soixante florins fut le mieux payé de tous les employés scientifiques et artistes de la cour de l'époque ((L156)). Jost Bürgi fut anobli le 16 mars 1609 par l'empereur Rodolphe II pour ses prestations en tant que mathématicien. Après la mort de Rodolphe II en 1612 la tolérance religieuse diminua et changea la situation de tous les protestants, dont Kepler et naturellement Bürgi qui retourna à Kassel à deux reprises dans les années suivantes. Après l’évènement de la défénestration de Prague en 1618 et la défaite à la bataille de la Montagne Blanche en 1620, Jost Bürgi quitta la ville en 1622, d’après des sources locales ((L162)). Il rejeta d’ailleurs une demande de Wallenstein de créer un horoscope, qui, selon lui, n’aurait ‘de valeur que pour les ânes et les imbéciles’. Et il n’était lui-même ni l’un et ni l’autre. Selon d’autres rapports Jost Bürgi vécut à Prague jusqu'à 1631, avant de revenir au milieu de la guerre de 30 ans à Kassel où il décéda le 31 Janvier 1632.

D’après Bürgi, son chef-d'œuvre est son horloge à cristal de roche construite en 1610. Avec son échappement croix-choc et son remontoir à trois mois, elle affiche les heures, minutes et secondes sur des cadrans individuels et montre la position des planètes avec une sphère armillaire. Elle indique aussi la position de la lune et illustre les étoiles sur un globe céleste en cristal de roche (aujourd'hui exposé au Kunsthistorisches Museum de Vienne). Jamais auparavant le monde de l'horlogerie n'avait atteint un aussi haut niveau et il fallut attendre le 18e siècle pour trouver à Londres et dans le Jura neuchâtelois la même qualité artisanale. Le globe céleste le plus élaboré de Bürgi est exposé depuis 1983 au Musée National de Zurich. D’autres exemplaires construits par Bürgi se trouvent actuellement à Kassel, Dresde, Vienne, Paris et Londres.

Le scénariste et réalisateur Michael Havas a tourné en 1990 un film documentaire sur Jost Bürgi («Himmel hab’ ich gemessen ») produit par Condor-Film de Zurich ((H)) et diffusé par les grandes chaînes de télévision publique de Suisse, d'Allemagne, de République tchèque et de Nouvelle-Zélande. Pour ce film, Michael Havas a obtenu différents prix aux États-Unis et au Japon.

En 1983, un timbre spécial de la poste suisse illustrant un globe céleste de Jost Bürgi, a été primé plus beau timbre-poste européen sur le thème "les œuvres importantes de l'esprit humain».,

Sur un monument crée en l’honneur de Kepler en 1871 à Weil der Stadt, sa ville d’origine, l’artiste a représenté sur le socle les médaillons entre autres de Bürgi, Copernic et Brahe. Enfin comme pour Galilée, Kepler et Brahe, un cratère de la lune a aussi été nommé d’après Bürgi (Byrgius), en souvenir de ses contributions en astronomie.

 

Aussi célèbre qu’Albrecht Dürer - et aujourd'hui oublié?

Ce génie de la renaissance qu’a été Jost Bürgi a beaucoup inventé mais peu écrit. Il a fallu des siècles pour que ses compétences et l’importance de ses innovations deviennent reconnues. Par exemple, la loi actuelle "Publish or Perish" était aussi de mise à l'époque de ce grand scientifique. Son ami Johannes Kepler avait déjà prédit à Jost Bürgi « qu’il serait aussi célèbre comme horloger et mathématicien qu’ Albrecht Dürer l’était comme peintre ». Il serait bon au cours de cette année internationale de l'astronomie 2009 de se souvenir de ce Suisse si prolifique mais trop mal connu. Pour celui qui veut le faire en détail, la lecture des publications citées dans la bibliographie annexée est recommandée - notamment celles de Heinz Lutstorf et de Ludwig Oechslin.

Il est bien regrettable de constater que cette année aucune présentation du film sur Jost Bürgi n’ait été prévue et que ce total de 135 minutes de film documentaire ne soit programmé par aucune télévision. Toujours d'actualité et certainement enrichissant, ce chef-d’œuvre repose dans les archives de la télévision suisse. Il semble donc que Jost Bürgi risque bien de tomber dans les oubliettes de l’histoire, même à l’époque de l’ère numérique – à laquelle il a contribué avec ses propres méthodes mathématiques!

Fritz Staudacher, Widnau

 

Notes et bibliographie

G: Conférence générale des poids et mesures, 20 Octobre 1983. Une seconde a été définie comme "9 192 631 770 fois supérieure à la durée de la période de la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état de base de l'atome du nucléide 133Cs de rayonnements". Un mètre "étant le parcours de la lumière dans le vide dans une période de 1 / 299 792 458 de seconde."
H: Michael Havas (film-scénario et réalisation): Himmel hab’ ich gemessen / The Cosmic Triangle. Condor-Film Zürich 1990 (Producteur: Rüdiger Findeisen).
Ha: Heinz-Dieter Haustein: Weltchronik des Messens. Walter de Gruyter, Berlin 2001.
He:Christian Heitzmann: Die Sterne lügen nicht. Catalogue d’exposition de la Bibilothèque de Herzog August à Wolfenbüttel 2008.Harrasowitz-Verlag Wiesbaden en commission.
L: Heinz Lutstorf: Die Logarithmentafeln Jost Bürgis. Bemerkungen zur Stellenwert- und Basisfrage. Schriftenreihe der ETH-Bibliothek, Wissenschaftsgeschichte Band 3, Zürich 2005.
Lö: Hans Löffel: Das mathematische Werk Jost Bürgis. In: Toggenburgerblätter für Heimatkunde 34, 1982. S. 37-46.
LW: Heinz Lutstorf und Max Walter: Jost Bürgi’s Progress-Tabulen, nachgerechnet und kommentiert. Schriftenreihe der ETH-Bibliothek, Nr. 28. Zürich 1992.
O1: Ludwig Oechslin: Der Bürgi-Globus. Schweizerisches Landesmuseum Zürich, 2000.
O2: Ludwig Oechslin: Jost Bürgi. Verlag Ineichen, Luzern 2000.
M: Armin Müller: Herkunft und Lebensweg Jost Bürgis. In: Toggenburgerblätter für Heimatkunde 34, 1982. S. 7-20.
P: Thomas de Padova: Das Weltgeheimnis. Kepler, Galilei und die Vermessung des Himmels. Piper München 2009.
S: Matthias Schultz: Giftspur im Sternenschloss. In: Der Spiegel 3/2009, S. 112-114.
T: Rasid Takiyyüddin, Sevim Tekeli: Takiyyüddin. 2002. ISBN 975-17-2291.
To: Hüseyin Gazi Topdemir/Rasid Takiyyüddin: Die Eigenschaft von Licht und das Wesen des Sehens. 1999.
W: Johann Wenzel: Jost Bürgi als Künstler der Mechanik. In: Toggenburgerblätter für Heimatkunde 34, 1982. S. 21-36.

 

[Publié: Mai 2009]