La Suisse et les sciences spatiales: une histoire de plus de 40 ans de succès

Willy Benz, Universität Bern, Président de la Commission Suisse des Affaires Spatiales

 

La recherche spatiale suisse, ainsi que celle de la plupart des autres pays européens, est essentiellement basée sur un effort mené internationalement. Etant donné l’importance des structures (et des coûts associés) requises pour mener à bien ce type de recherche, le besoin de collaborations internationales a été ressenti dès le début comme une nécessité plus que comme un choix. Aujourd’hui, ce fait est regardé par la plupart des personnes concernées comme une opportunité unique de faire travailler ensemble des groupes de recherche établis à travers l’Europe et dans le monde entier, afin de définir des missions spatiales pour résoudre des questions scientifiques communes.

La Suisse a reconnu ces nécessités dès le début et est devenue très active dans les négociations qui ont débouché sur la création de l’European Space Research Organisation (ESRO) en 1962. Un peu plus d’une décennie plus tard, en 1975, quand le concept d’une seule Agence Spatiale Européenne (ESA) regroupant toutes les activités spatiales européennes s’est imposé, la Suisse a été à nouveau parmi la dizaine d’Etats Membres fondateurs (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, Suède, Suisse). Aujourd’hui, l’ESA compte 17 Etats Membres (15 d’entre eux sont aussi membres de l’Union Européenne) et plusieurs autres pays sont en négociation pour joindre l’Agence.

En 1986, à la suite d’une proposition de la Suisse, l’ESA a créé le premier programme optionnel scientifique, PRODEX (PROgramme de Développement d’EXpériences scientifiques). Le but de ce programme est de permettre aux pays qui n’ont pas d’agence spatiale nationale de financer des expériences spatiales développées par leurs propres instituts et/ou universités, en lien direct avec les missions ESA ou en accord avec les objectifs scientifiques globaux de l’Agence. En tant que Membre fondateur, la Suisse a été initialement le seul pays participant à ce programme, mais a rapidement été rejointe par d’autres pays. Actuellement, le programme PRODEX inclut la Suisse, l’Irlande, la Belgique, la Norvège, l’Autriche, le Danemark, la Hongrie et la République Tchèque.

PRODEX a donné aux scientifiques suisses travaillant dans des instituts de recherche et des universités les moyens financiers pour participer pleinement à la conception et à la construction des expériences spatiales. Avec l’exigence que la moitié des fonds alloués soit dépensés dans le cadre de contrats avec l’industrie, PRODEX a contribué au rapprochement des mondes académiques et industriels dans le pays. Au fil des années, ce programme a non seulement permis de développer des expériences avec succès, mais aussi d’établir une tradition fructueuse de collaboration et d’échanges.

La commémoration du 20e anniversaire de la création du «pont vers la recherche expérimentale spatiale» comme PRODEX est quelquefois appelé, a pris en 2007 la forme d’un symposium organisé à St-Gall et Altenrhein [1]. Regarder en arrière fut vraiment impressionnant et il est clairement apparu que les scientifiques suisses ont participé, sous une forme ou sous une autre, à la plupart des missions spatiales passées. Durant ces 20 années, un budget total de 109 millions de CHF a été alloué à quarante-quatre projets provenant de toutes les parties du pays et couvrant une grande diversité de domaines scientifiques, astronomie, observations terrestres, physique fondamentale ou biologie. Depuis 2008, la Suisse aura un budget annuel de 7.2 millions d’Euros pour les projets PRODEX. Les chercheurs suisses peuvent utiliser ce financement pour des projets de développement de hardware ou de software dans toutes les disciplines en lien avec la recherche spatiale.

 

Aujourd’hui, un nombre record de missions ESA ou de missions avec une implication importante de l’ESA sont en opération, explorant le Soleil (SOHO, Ulysses), le système solaire (Mars et Venus Express, Rosetta, Double Star, Cluster, Cassini- Huygens) et l’Univers (Integral, XMM-Newton, Hubble). La quantité de données reçues de ces missions est énorme et a contribué de façon significative à notre meilleure connaissance de l’Univers. Qui n’a pas été impressionné par les extraordinaires images astronomiques provenant du Télescope Spatial Hubble, et qui pourrait oublier les images de Claude Nicollier, l’astronaute suisse de l’ESA, participant à la réparation du télescope?

En phase d’implémentation, il y a une mission vers la planète Mercure (BepiColombo), deux missions dédiées à l’Univers primordial et à ses constituants (Herschel et Planck), une dont le but est d’établir la carte 3D de notre Galaxie (Gaia) et une dernière qui est le successeur du Hubble Space Telescope (JWST). Dans toutes ces missions, l’implication suisse est présente à un niveau ou à un autre.

Le futur à long terme de l’astronomie depuis l’espace en Europe a été défini dans l’exercice de prospective Cosmic Vision 2015-2025 organisé par l’ESA. En avril 2004, l’ESA a lancé un appel à propositions de thèmes pour la science du futur et a reçu 151 idées nouvelles provenant de scientifiques travaillant en Europe. Après une phase de «distillation» de ces idées par des experts de l’ESA et un groupe de travail public, quatre questions fondamentales ont émergé, qui devraient guider les efforts de la recherche spatiales dans les années 2015-2025:

  1. Quelles sont les conditions pour que des planètes se forment et que la vie apparaisse?
  2. Comment fonctionne le système solaire?
  3. Quelles sont les lois fondamentales de la physique dans l’Univers?
  4. Quelles sont les origines de l’Univers et de quoi est-il fait?

Certaines questions fondamentales, qu’il était impossible d’aborder il y a une vingtaine d’années, peuvent maintenant être envisagées avec de bons espoirs de réponse. Les solutions pourront être obtenues en particulier par des missions spatiales définies autours de ces grands thèmes. En réponse à un appel à propositions, ESA a reçu un nombre stupéfiant de propositions, soit cinquante. Une première sélection de neuf missions candidates pour les premiers lancements dans le cadre de Cosmic Vision (2017-2018) a déjà été opérée. Ces missions couvrent un large spectre de sujets, la cartographie de la matière noire dans l’Univers (Euclid), la détection des ondes gravitationnelles (Lisa), l’astrophysique des hautes énergies (Xeus), la formation des galaxies, étoiles et planètes (Spica), la détection des planètes extrasolaires (Plato), l’étude des planètes géantes dans le système solaire (Laplace et Tandem), le prélèvement d’échantillons sur un astéroïde passant près de la Terre (Marco Polo) et l’étude des gaz de plasma dans l’environnement terrestre (Cross Scale). L’implication suisse est à nouveau présente, à un niveau ou à un autre, dans presque tous ces projets de missions.

Le chemin entre l’idée et sa réalisation est long et souvent difficile dans le domaine spatial. De nouvelles technologies doivent être développées, les buts scientifiques doivent être précisés, les difficultés financières doivent être surmontées. Mais au bout du projet, nous en savons plus sur l’origine de l’Univers, sur son évolution, et sur la place de l’humanité. Finalement, et cela aussi est important, nous aurons démontré notre capacité à travailler ensemble pour aborder certains des plus grands défis scientifiques et technologiques de notre temps.

 

 

Cet article est un extrait de la brochure jubilée "L'astronomie en Suisse", publiée à l'occasion de l'année mondiale de l'astronomie 2009.